Amende record en cas de manquement, dérogations rares pour les enquêtes internes ou les procédures judiciaires : au Canada, la gestion des données personnelles n’a plus rien d’une formalité. Depuis peu, chaque entreprise risque jusqu’à 25 millions de dollars d’amende, ou 5 % de son chiffre d’affaires mondial, si elle néglige les nouvelles règles. Les textes sont clairs : traçabilité, accès facilité à l’information, sécurité sans faille. Le temps des demi-mesures touche à sa fin.
L’adoption du projet de loi 64 ne fait pas que réorganiser quelques procédures administratives : elle impose un véritable changement de rythme aux entreprises, qui doivent repenser en profondeur la manière dont elles collectent, stockent et utilisent les données personnelles. Désormais, chaque étape du traitement doit être documentée, chaque action justifiable. Impossible de naviguer à vue sous peine de sanctions qui marquent les esprits.
Plan de l'article
Projet de loi 64 : pourquoi cette réforme bouleverse la protection des données au Canada
Le 21 septembre 2021, l’Assemblée nationale du Québec a validé le projet de loi n° 64, intitulé « Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels ». Ce texte n’est pas une retouche cosmétique : il refonde la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (LPRPSP) et rapproche le Québec des exigences du RGPD européen. La modernisation s’impose, portée par la nécessité d’aligner les pratiques locales sur les attentes internationales en matière de protection des données.
Les nouvelles règles s’adressent à la fois aux entreprises privées et aux organismes publics. Le contrôle s’intensifie : la Commission d’accès à l’information (CAI) se voit conférer des pouvoirs élargis, pouvant désormais exercer une surveillance étroite et prononcer des sanctions d’une ampleur inédite.
L’application de la réforme s’étale sur trois ans, de 2022 à 2024. Ce calendrier laisse peu de place à l’attentisme. Le projet de loi 64 ne se contente pas de copier les exigences du RGPD ; il introduit aussi des dispositifs adaptés à la réalité québécoise. Trois notions s’imposent : le responsable de la protection des renseignements personnels, l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) et un consentement explicite pour de nombreux traitements. Ces exigences redessinent le paysage, forçant acteurs publics et privés à réviser leurs usages en profondeur.
Les principales nouveautés méritent d’être listées :
- Renforcement des droits des personnes concernées
- Exigence accrue de transparence et de responsabilité
- Obligation de notifier la CAI en cas d’incident de confidentialité
Avec ces mesures, la législation québécoise rejoint les standards internationaux sur la protection des données personnelles, tout en imposant sa propre signature réglementaire.
Quelles obligations concrètes pour les entreprises depuis l’entrée en vigueur de la loi ?
Désigner un responsable de la protection des renseignements personnels n’est plus une option. Ce référent, véritable chef d’orchestre de la conformité, supervise la gestion des données et la publication de politiques de confidentialité accessibles à tous.
Les exigences se multiplient. Chaque entreprise doit désormais recueillir un consentement explicite pour tout traitement de données sensibles, avec une règle spécifique pour les mineurs de moins de 14 ans : l’accord des parents s’impose. Les paramètres de confidentialité doivent restreindre au minimum la collecte d’informations, par défaut.
En cas d’incident de confidentialité, la loi exige une notification immédiate à la Commission d’accès à l’information (CAI) et aux personnes concernées. Un registre détaillé des incidents doit être tenu et régulièrement mis à jour. À l’inverse des pratiques anciennes, les données ne peuvent plus être conservées sans limite : destruction ou anonymisation deviennent la règle dès que la finalité du traitement est atteinte.
Pour clarifier les nouvelles obligations, en voici les grandes lignes :
- Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) requise pour certains traitements
- Contrats écrits obligatoires avec les tiers et sous-traitants gérant des données
- Déclaration à la CAI pour tout usage de données biométriques
La loi ne plaisante pas avec les sanctions : jusqu’à 10 millions de dollars ou 2 % du chiffre d’affaires mondial pour les amendes administratives, et jusqu’à 25 millions de dollars ou 4 % pour les infractions pénales. La conformité devient une question de survie, pas seulement de réputation.
Adopter les bonnes pratiques pour garantir la conformité et limiter les risques
La gouvernance des données est désormais une exigence incontournable. Le responsable de la protection des renseignements personnels doit garantir que chaque politique de confidentialité soit à jour, compréhensible et à la disposition du public. La documentation de chaque traitement devient systématique, en particulier lors de l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) pour tout projet à risque.
La gestion des droits des personnes concernées prend une place centrale. Accéder à ses données, demander une rectification, retirer son consentement, demander la portabilité ou l’effacement : chaque demande implique une réponse claire, structurée, assortie d’une traçabilité irréprochable. Les échanges de données avec des tiers sont strictement encadrés par des contrats écrits, avec des clauses précises sur la confidentialité et la sécurité.
Sur le terrain, l’organisation doit s’équiper : registre des incidents, process de notification, audits réguliers. Une fuite, une perte ou un accès non autorisé doit être identifié, documenté, transmis sans délai à la Commission d’accès à l’information comme aux personnes concernées. Toute entreprise qui manipule des données biométriques ou s’appuie sur le traitement automatisé doit renforcer sa vigilance, déclarer ces usages, anticiper les éventuelles dérives.
Progressivement, une culture de la protection des données personnelles s’ancre dans le quotidien des organisations. La formation continue des équipes devient un passage obligé, tout comme l’intégration des principes réglementaires dès la conception de chaque nouveau service. Cette exigence, loin d’être une contrainte, devient un signal fort de confiance, une carte à jouer face à la concurrence, et parfois le meilleur rempart face à l’imprévisibilité des sanctions.
Entre le poids des nouvelles responsabilités et l’opportunité de gagner la confiance du public, la protection des données personnelles s’impose comme un terrain d’innovation, où la rigueur n’exclut ni l’anticipation, ni l’ambition. Le Canada, à sa manière, vient de hausser le niveau du jeu : à chacun de s’y adapter.